logofb

 

 
 
line decor
Anciens des Services Spéciaux de la Défense Nationale ( France ) - www.aassdn.org -  
line decor
 

 


 
 
 

 
 
PAGES D'HISTOIRE & " Sacrée vérité " - (sommaire)
LE C.E. CLANDESTIN (T.R.) D’AOUT 1942 AU 11 NOVEMBRE 1942 (1)
 

" La Saga VERNEUIL " (1) , par le Colonel Paul BERNARD

Avec la remarquable étude de notre camarade, le Colonel Paul Bernard, sur l’œuvre du Colonel Lafont (dit Verneuil) à la tête de nos Services de Contre-Espionnage clandestins (T.R.) d’août 1942 à la Libération, et creusant son travail historique, le Colonel Bernard revient sur les conditions dans lesquelles Verneuil prit en août 1942 la direction de ce réseau. Il donne ensuite un récit vivant de ce que fut sa propre existence dans le P.C. clandestin de Verneuil à Marseille jusqu’à l’envahissement de la zone dite libre par la Wehrmacht, le 11 Novembre 1942.

Août 1942, Darlan désormais « réduit » au rôle de Commandant en Chef des Armées, semble prendre le contre-pied de la politique de Laval. Orienté par son Chef d’Etat-major, le Général Revers et son Chef de Cabinet l’Amiral Battet, il semble envisager favorablement une action alliée prochaine et de grande envergure. Il ne répugne plus à soutenir en sous-mains les organisations de résistance issues de l’Armée. En tous cas Revers et Battet ont toutes initiatives pour faciliter l’action secrète des réseaux de renseignements (Kléber) et de Contre-espionnage (T.R. et Sécurité Militaire) ainsi que le C.D.M. et le S.R. Aviation du Colonel Ronin. 

Malheureusement les cadres « résistants » dans l’Armée viennent d’être amputés de leurs éléments les plus engagés et les plus en évidence. Sous la pression allemande, le Commandement a « limogé » Baril, Chef du 2e  Bureau de l’E.M.A., du Vigier, Chef du 3e Bureau et père des G.A.D., d’Alès, Chef des B.M.A., Rivet lui-même est sur un siège éjectable. J’en passe!

Situation ambigüe où l’on voit le Ministre de la Guerre, le Général Bridoux, opposé à toute résistance, surveillé par l’Etat-major du Commandant en Chef et contraint de composer avec son propre Chef d’E.M. le Général Verneau, déjà engagé avec le Général Frère dans l’Organisation de Résistance de l’Armée (1)

Situation trouble et dangereuse où l’on voit le Chef de la Police Bousquet composer avec la police allemande pour réprimer la Résistance tandis que maints fonctionnaires sous ses ordres (?) facilitent le travail de nos Réseaux.

Situation angoissante où l’on voit les détenteurs du pouvoir politique à Vichy devenir les auxiliaires affichés des Abetz, Oberg, Knochen, Canaris et autres SS désormais les maîtres du destin de la France occupée.

Août 1942, le Commandant Paillole doit reprendre en mains l’ensemble des Services de Contre-espionnage, mutilés par la destruction des B.M.A., le limogeage de leur Chef  (le Colonel d’Alès), les poursuites engagées contre certains de ses collaborateurs, les arrestations et condamnations de plusieurs officiers T.R. en zone occupée, la suspicion qui pèse de plus en plus lourdement sur l’Organisation clandestine T.R.

Reprendre en mains et réorganiser cet ensemble terriblement ébranlé et menacé, tandis que le tournant décisif de la guerre est annoncé par les désastres de la Wehrmacht en U.R.S.S. et la préparation du débarquement allié en A.F.N.

Il faut faire vite et en Secret.

Dans cette phase décisive seront jetées les bases de la Sécurité Militaire clandestine, tandis que l’exceptionnel technicien des Services Secrets, le Capitaine Lafont-Verneuil adaptera magistralement le réseau T.R. aux impératifs redoutables d’une situation de plus en plus exigeante en renseignements sur les activités de l’ennemi et de ses auxiliaires.

Tel est le point de départ de ce que le Colonel Bernard appelle la « Saga Verneuil ». Nous en publions de larges extraits en remerciant et félicitant l’auteur. Il remet en mémoire aux anciens une passionnante et difficile phase de leur existence. Il apprend aux plus jeunes ce que furent nos misères, nos espoirs et notre fierté. Il rend un hommage mérité à l’un des plus valeureux et des plus modestes d’entre nous, le Colonel Lafont, dit Verneuil.

 

« LA SAGA VERNEUIL »

par le Colonel Paul BERNARD

Agent P2 du Réseau F.F.C. - S.S.M./T.R.

Lorsque le Capitaine Roger Lafont en août 1942 est muté du Service de Renseignements au Service de Contre-espionnage, la situation de ce Service est assez compromise. Sur le plan technique il a parfaitement rempli sa mission, mais cette réussite même lui a valu la haine des « Autorités d’Occupation » et des « collabos » les plus engagés. Elle est à ce point patente qu’elle a attiré sur lui les foudres d’un Etat dont la souveraineté est de moins en moins réelle.

Il est nécessaire de faire une sorte d’inventaire à l’heure où le Capitaine Lafont prend la tête du Contre-espionnage Offensif (Pardon ! : à l’heure où M. l’Ingénieur Agricole Verneuil devient P.-D.G. des « Travaux Ruraux »).

 

AMBIANCE GENERALE

La France est juridiquement parlant, en état de guerre avec l’Allemagne et l’Italie.

Ce fait a une énorme importance pour le Service de Contre-espionnage ; le pays est toujours sous le régime de l’Etat de Siège qui a donné à l’Armée les pouvoirs de Police en matière d’atteintes à la sûreté de l’Etat.

En permettant une synchronisation parfaite entre les différentes branches du Contre-espionnage (préventive, répressive, offensive), cette organisation centralisée sous l’autorité des Services Spéciaux militaires, a été pour beaucoup dans les succès remportés contre l’espionnage ennemi notamment de 1939 à 1940.

Les « collaborateurs » ont vite détecté les inconvénients que présentait, pour eux, le bon fonctionnement de ce Contre-espionnage et l’Armée va être privée des pouvoirs de Police au bénéfice du Ministère de l’Intérieur dès 1941.

La plupart des fonctionnaires de Surveillance du Territoire, animés du même patriotisme que nos officiers, avaient noué, avec eux, des liens qui dépassaient la simple estime réciproque. Ils avaient acquis la solidité d’une véritable fraternité de combat.

Ces fonctionnaires avaient eu de nombreuses occasions d’évaluer depuis 1938 :

— l’ampleur et la virulence des attaques menées contre la France par les Services Spéciaux de l’Axe;

— le danger mortel que ces attaques faisaient courir tant à l’Hexagone qu’à notre Empire et notamment à l’A.F.N.;

— le danger, non moins mortel pour la France de toute dérive vers la collaboration.

Ils avaient souvent constaté la valeur et la précision des renseignements recueillis par les agents du réseau T.R. et, en particulier, par les agents de pénétration et d’intoxication. Ils savaient que le maniement de tels agents exige une technique et une documentation que les Services Spéciaux militaires étaient seuls à posséder.

Le retrait des pouvoirs de Police au Contre-espionnage militaire n’eut donc pas les effets désastreux que l’on pouvait craindre. 

C’était heureux car l’offensive des services allemands prenait de jour en jour plus d’ampleur et de virulence. Ce phénomène était dû, principalement, aux causes suivantes:

a) au fur et à mesure que le temps passait, les personnels des Services Spéciaux allemands connaissaient de mieux en mieux leurs zones d’action. Ils choisissaient avec plus de précision les cibles à pénétrer et les agents à recruter;

b) en juin 1940, traumatisés par la rapidité et l’étendue de la défaite, la France avait cherché refuge dans ses souvenirs de gloire et avait confié son sort au dernier survivant des Maréchaux de la Grande Guerre. A cette date, j’estime que la population était à 90% maréchaliste et germanophobe. 

En juillet 1940, le bombardement de notre flotte par la flotte anglaise à Mers el-Kébir avait amené une partie de la population et la majorité des marins à devenir anglophobes tout en restant germanophobes. 

En octobre 1940, l’entrevue de Montoire et le mot « collaboration » avaient alarmé une partie de la population. Tout comme certains actes, certains mots sont chargés de maléfices. Le mot « collaboration » fut de ceux-ci. Excuse commode pour la veulerie de ceux qui désiraient se cantonner dans une inaction égoïste, il habillera d’une façade faussement honorable les pires abandons et les pires trahisons. Il masquera les roueries de politiciens qui, sans oser se proclamer ouvertement plus efficaces que Richelieu ou plus intelligents que Napoléon n’en étaient pas moins persuadés qu’ils surpassaient Mazarin en souple finesse et Talleyrand en cynique habileté.

Le mot « collaboration » masquera pêle-mêle:

— la vénalité de la plupart des agents de l’ennemi;

— les sophismes des esprits faux persuadés de l’invincibilité de la Wehrmacht;

— les pillages sans vergogne opérés par quelques gangs de truands assassins et tortionnaires

— et les motifs inavouables des mouchards de tous calibres.

Certes, en août 1942, l’affrontement entre Résistants et Collaborateurs n’a pas encore pris la forme de la lutte ouverte et violente, mais le poison de la « collaboration » a déjà perverti trop d’esprits et les Allemands éprouvent moins de difficultés qu’en juin 1940 pour le recrutement de nouveaux agents. 

Pour mesurer le degré de pourrissement de certains milieux collaborateurs, signalons seulement que le 21 décembre 1942, c’est le Secrétaire Général à la Police Française,  M. Bousquet, qui prendra l’initiative de dénoncer au Brigadefûhrer Oberg, une des meilleure source de notre S.R., la source K.

L’ignoble trahison de Bousquet nous a coûté, dans l’immédiat, l’arrestation d’une dizaine de patriotes dont trois seulement survivront à la déportation. Ce deuil, si douloureux soit-il, est encore peu de choses à côté du désastre qu’a représenté, pour le Commandement allié, la disparition d’une source de Renseignements d’une valeur exceptionnelle. Elle aurait dû atteindre sa pleine efficacité lors du débarquement allié en Normandie et sans doute atténuer les souffrances de notre pays en précipitant sa Libération.

La dérive, relativement rapide, d’une « collaboration » de façade à la trahison la plus éhontée risquait d’être d’autant plus dangereuse que la mise sur pied d’une Résistance structurée s’avérait, elle, relativement lente et difficile. 

Les effectifs potentiels ne manquaient pas pour la Résistance. La population était restée germanophobe dans une proportion de 80% au moins. Mais il y a autant de différence entre un simple germanophobe et un vrai Résistant qu’il y en a, dans une armée en campagne, entre le mobilisé qui figure sur les contrôles d’une unité de réserve et le combattant d’élite, volontaire pour servir dans un bataillon de Choc. 

Si la population était germanophobe à 80%, les candidats aux rôles d’agents de renseignements, de saboteurs ou de maquisards n’étaient pas Légion.

En 1942, il n’était pas évident que les Allemands allaient en imposant le S.T.O., se montrer les meilleurs recruteurs pour nos maquis.

Pour nous, pionniers de la lutte anti-Wehrmacht, le 2esemestre 1942 fait un peu figure de «  nuit du doute ». Nous n’en avons pas conservé le souvenir d’une période faste où les candidats se pressaient en foule aux guichets d’enrôlement. Aucune analogie, dans ce domaine, avec le 4e trimestre 1944.

En ce qui concerne le recrutement purement T.R., la situation était plus favorable car nous n’avions besoin que d’effectifs restreints.

Les qualités morales de nos agents et leurs possibilités d’accès aux renseignements utiles nous intéressaient beaucoup plus que leur nombre.

Lorsque Monsieur Verneuil s’installa à Cambronne, les missions confiées au T.R. que ce soit en Métropole ou dans l’Empire, étaient en cours de réalisation dans des conditions satisfaisantes. Nos pertes, pour douloureuses qu’elles fussent, n’étaient pas particulièrement lourdes. Par contre, les pertes causées à l’ennemi étaient extrêmement sévères. 

Puisque nous parlons recrutement et pertes, voyons quelle avait été l’évolution des effectifs T.R. depuis la naissance de ce Service:

EFFECTIFS

Le 18 juin 1940, le Capitaine Paillole convoque pour le lendemain à Langon (Gironde, 47 kms de Bordeaux) tous les cadres de son Service spécialisés dans le C.E. offensif (2). Il leur fait part de sa décision de poursuivre la lutte contre les Allemands et les Italiens quels que puissent être les termes de la Convention d’Armistice dont la signature est imminente.          

A l’unanimité, les cadres présents, soit 7 officiers, décident d’adopter la même attitude. C’est la naissance du, Réseau clandestin de C.E. qui sera camouflé dans l’organisation secrète des Travaux Ruraux (T.R.).

Sur le plan historique, comme sur le plan moral, la décision de Langon a une importance capitale et notre « Maison » en est fière à juste titre.(Nota : Le S.R. prend, de son côté, la même décision. C’est donc l’ensemble des Services Spéciaux qui va poursuivre la lutte.)

A la date où elle est prise, la décision de ces cadres du Contre-espionnage n’engage qu’eux-mêmes. Elle ne débouchera sur un travail efficace que si le personnel subalterne et les « agents » suivent l’impulsion de leurs « officiers traitants ». Or, depuis septembre 1939, les liens entre cadres et agents ont été perturbés:

1) L’ouverture des hostilités a rompu certaines filières établies en temps de paix.

2) Le « coup de faucille » des Panzer en mai 1940 et l’effroyable retraite qui l’a suivi ont haché menu les liaisons que les cadres des Postes de Lille, Belfort et Paris avaient pu tisser avec leurs agents pendant la « drôle de guerre ». 

Tout est remis en question après la débâcle de juin 1940 et l’armistice qui va suivre. 

Nous nous représentons mal, aujourd’hui, le travail réalisé par ces cadres pour reprendre contact avec leurs ouailles. Les relations épistolaires entre la zone occupée et la zone libre sont réduites aux fameuses « cartes Inter-Zones » étudiées pour rendre impossible (ou presque) tout échange de renseignements entre les correspondants. 

Les voyages par rail ou par route, mêmes réduits à un déplacement dans une seule zone, sont hérissés de difficultés. Quant aux voyages comportant le franchissement de la « Ligne de Démarcation » c’est une aventure aléatoire, parfois dangereuse. 

Lorsqu’un cadre T.R. a enfin retrouvé un de ses agents, il doit encore s’assurer que l’intéressé :

a) est toujours utilisable (un agent recruté à Roubaix pour travailler sur le poste Abwehr de Munster n’est pas forcément utilisable quand il est replié en Dordogne et que son ex-contact allemand a été muté à Dijon).

b) est disposé à poursuivre le travail. Il n’était pas évident qu’un étranger (voire un Français) fier, avant le 10 mai 1940 de participer au combat des vainqueurs de 1918, serait encore résolu à risquer sa vie pour les vaincus de Sedan.

Dans ces conditions, le simple recensement, des agents sur lesquels pouvait encore compter le Service allait prendre du temps.

Je me rappelle avoir eu entre les mains un des premiers comptes rendus rédigés, en juillet 1940 par le Colonel Hugon, à l’époque où il mettait le poste clandestin sur pied T.R. 114 (Lyon). Il évaluait à trois mois au minimum, le temps qui lui serait nécessaire pour reprendre contact avec ses anciens agents du Poste de Belfort. 

Les postes T.R. 115 (Marseille) et T.R. 117 (Toulouse) moins bouleversés par les événements de guerre, étaient plus favorisés que T.R. 114, mais que dire de T.R. 112 (Limoges) et de T.R. 113 (Clermont-Ferrand) ? Leurs agents étrangers et français s’étaient trouvés en plein sur le trajet du « coup de faucille » des Panzerdivisionen. 

Si difficile qu’ait pu être ce recensement des agents récupérables, il fut mené à bien dans le délai de trois mois prévu et accordé par le Capitaine Paillole.

Nos cadres T.R. eurent l’immense satisfaction de constater que presque tous les agents retrouvés acceptèrent de reprendre leur travail. L’effroyable défaite n’avait détruit ni leur détermination, ni les sentiments d’estime et de confiance qu’ils éprouvaient pour leurs « officiers traitants ». 

Fait essentiel, la quasi totalité des agents de pénétration, y compris les étrangers, se montra d’une fidélité et d’un courage remarquables. 

Contrairement à ce que semblent croire certains pseudo techniciens ignorants des réalités de notre profession, on ne créée pas un réseau de pénétrants valables en couvrant d’or des agents vénaux ou en exerçant un quelconque chantage sur des agents ennemis « retournés » après capture. De tels agents peuvent être utilisés dans certains cas exceptionnels mais ils ne sauraient prétendre à l’estime et à la confiance sans réserve de leurs utilisateurs. 

Pour un travail important et prolongé, l’agent de pénétration ou d’intoxication (qui, rappelons-le, court toujours de très gros risques) a tout intérêt à être motivé par des sentiments plus élevés que la vénalité ou la peur. 

C’est ce qu’avaient parfaitement compris, dès 1936, les créateurs du très remarquable réseau de « pénétrants » qui nous est resté fidèle en dépit de notre défaite de 1940 .Ces créateurs eurent pour chefs de file les chefs mêmes du Service : le Colonel Schlesser et le Capitaine Paillole. Il serait injuste d’oublier le travail fourni par tous les « officiers traitants » de notre « Maison ».

 

Pour m’en tenir à ceux que j’ai personnellement connus, je citerai:

— le Lieutenant Lulle-Desjardin, chargé en 1936 de pénétrer les Postes du S.R. allemand basés en Espagnole,;

— le Lieutenant Fontès du C.L.F. (Lille) était responsable d’une antenne axée sur l’A.S.T. de Munster via Anvers et la Hollande.

Nota : Il avait été reçu à Saint-Cyr un an après moi et avait été affecté comme élève de 1èreannée à la Compagnie dont j’étais le sergent- fourrier (celle de Lulle et de Delmas (3);

— le Lieutenant Rigaud, officier du C.L.F. puis de T.R. 112, muté en A.F.N. à la dissolution de T.R. 112 en 1942. J’avais fait sa connaissance en 1939 alors que je venais d’être affecté à l’Etat-major de Lue. C’est le premier officier du Service avec lequel j ‘ai eu l’occasion de coopérer de septembre 1939 à mars 1940, je lui fabriquais des « fournitures » pour ses "pénétrants".

— le Lieutenant Guillaume qui avait pris en charge en 1939, dans le cadre du Poste de Paris, plusieurs des agents de pénétration recrutés, depuis 1936 par le Capitaine Paillole lui-même.

— le Capitaine Doudot, chargé dès 1932 du contre-espionnage au Poste de Metz, travaillait déjà avec le Capitaine Roger Lafont. Cet officier détient un record assez exceptionnel. Il avait réussi à se faire embaucher sous deux identités différentes par deux Postes de l’Abwehr, Cologne et Stuttgart...

Nous avons été amenés, après la guerre, à établir le bilan ci-après des pertes de nos réseaux T.R. de 1940 à 1942:

 

En 1940   6
En 1941  15
En 1942  25

Total

 46 agents arrêtés, déportés ou exécutés

dont 7 recrutés avant l’Armistice

et 39 recrutés depuis l’Armistice

 

MISSIONS

Lors de sa naissance en 1940, le nouveau Service français de Sécurité et de Contre-espionnage fut scindé en :

— un organisme officiel dit B.M.A. (Bureau des Menées antinationales);

— un organisme secret dit T.R. (Travaux Ruraux).

Au moment où Monsieur Verneuil arrive à Cambronne, les Allemands et les collaborateurs viennent de porter à cette organisation une estocade qu’ils espèrent mortelle, en supprimant les B.M.A. Seule la politique à double détente menée par le Général Revers (4) permettra à la Sécurité Militaire de devenir à leur place un Service efficace. Mais son efficacité désormais ne pouvait être que clandestine. 

Ceci oblige à rappeler quelles étaient les missions (officielles et secrètes) des B.M.A.: 

1) Protection de l’Armée contre l’espionnage et la propagande antimilitariste.

2) Couverture des organisations clandestines de l’Armée (S.R., C.E., C.D.M. G.A.D.).

3) Recherche et fourniture de ressources en hommes (H.C. notamment parmi nos officiers de réserve) et en matériels pour aider leur action.

4) Exploitation des renseignements de C.E. recueillis par T.R. avec, si nécessaire, la mise en œuvre de la Surveillance du Territoire et de la Justice Militaire.

5) Protection des Patriotes et des organismes pro alliés.

Ce dernier paragraphe se traduit par « Protégez la Résistance et les réseaux amis, rendez aussi inefficaces que possible les initiatives malheureuses des Polices ».

Le 4e paragraphe implique que les Généraux commandant les Divisions Militaires territoriales doivent user des prérogatives que leur donne encore « l’Etat de Siège » pour coopérer à la lutte contre les Services Spéciaux ennemis. 

C’est justement parce que les Allemands bénéficiaient de nombreuses facilités pour voler nos secrets qu’il était indispensable de tendre, en Métropole et en A.F.N. un rideau serré d’agents de contre-espionnage.

L’effort de recrutement par les Postes T.R. devait impérativement être intense et persévérant.

Le 1er  novembre 1942, les effectifs T.R. étaient les suivants:

Postes   Cadres Agents Agents de pénétration
T.R.112 0 85 8
T.R.113 7 75 21
T.R.114 5 131 36
T.R.115 6 115 24
T.R.117 8 268 37
Direction 12    

Totaux

38 674 126

Ces chiffres appellent quelques remarques : 

1°) T.R.112 n’a pas de cadres. — Le Poste a été dissous en juin 1942 à la suite d’une dangereuse vague d’arrestations. Les cadres ont été mutés et les agents survivants ont été raccrochés à T.R. 113.

2°) La Direction ne manie, en principe, aucun agent. La réalité est différente. Le Colonel Paillole, puis Verneuil conservaient les contacts avec les agents auxquels ils tenaient particulièrement.

3°) Pour suivre l’installation en France et les objectifs de l’Abwehr, du Sicherheitsdienst et de leurs auxiliaires français, nous avons été amenés à recruter beaucoup de nouveaux agents de pénétration.

Certains ont été capturés après quelques mois, voire quelques semaines d’un travail ingrat et obscur. Peu sont revenus de déportation, mais grâce à eux, nous avons pu connaître, presque au jour le jour, les moyens, les méthodes, les objectifs des Services ennemis.Grâce à leurs successeurs introduits dans les partis collaborationnistes, dans la Milice, dans les équipes françaises de la Gestapo, nous avons pu détecter et parfois neutraliser les ennemis les plus dangereux de la Résistance.

Les effectifs de « pénétrants » au travail le 1er  novembre 1942 représentaient presque le cinquième de la totalité du réseau T.R. (18,7%).

Les 674 agents au travail le 1er  novembre 1942 comprenaient :

a) une soixantaine d’agents provenant du réseau antérieur à l’Armistice.

b) les agents recrutés depuis l’Armistice jusqu’au 31 juillet 1942.

Notre Service attachait à son réseau de pénétration une telle importance que des cadres mêmes de notre « Maison », tels Klein et Doudot, jouaient avec brio le rôle d’agents d’intoxication au détriment de l’Abwehr.

— Le Lieutenant Klein, adjoint de Doudot à Metz depuis 1933, cadre de T.R. 115 puis de T.R. 117 qui a poursuivi avec une abnégation extraordinaire sa tâche en Métropole, pendant toute la guerre, alors qu’il était brûlé, recherché, et que de nombreux membres de sa famille étaient aux mains de la Gestapo par représailles. 

Au moment où « Monsieur Verneuil » prenait la direction des Travaux Ruraux, il y avait plus de 18 mois que notre réseau de pénétration de 1939 avait repris son travail. Il était en pleine activité et grâce à lui l’organigramme de l’Abwehr était parfaitement reconstitué. Le Poste Abwehr le moins « pénétré » employait trois agents de T.R.

Les Chefs de Poste du Réseau T.R. ne s’étaient pas bornés à remettre au travail les éléments récupérables. Un pays vaincu et partiellement occupé a besoin d’un Service de C.E. plus étoffé que jamais.

Cette évidence échappait en 1940 à la grande majorité des Autorités civiles et militaires.

 

Je me rappelle avoir fortuitement rencontré dans une rue de Vichy, en janvier 1941, le Général M.... Il avait été mon chef direct de 1937 à 1939 puisqu’il dirigeait l’Ecole Supérieure de Guerre dont je suivais les cours.

Le Général s’enquit aimablement de mon affectation. En apprenant que j’avais obtenu d’être versé aux Services Spéciaux, il eut un véritable cri du cœur : « Mon pauvre ami!! Qu’allez-vous faire au Contre-espionnage ? Vous allez être totalement inutile. Comment voulez-vous que les Allemands se donnent le mal de nous espionner alors que leurs Commissions de Contrôle peuvent se procurer légalement et sans la moindre peine tous les renseignements qu’ils ont intérêt à connaître? »

Pour apprécier cette opinion à sa juste valeur, je tiens à préciser:

1) que le Général M... était un excellent chef de guerre dont la Division s’était brillamment battue sur la Somme contre plusieurs centaines de chars allemands, appliquant à la lettre les consignes de résistance à outrance données par le Général Weygand.

2) que le Général M..., avant de commander l’Ecole Supérieure de Guerre, avait été Attaché Militaire à Moscou et devait normalement connaître les dangers de l’espionnage.

3) qu’en janvier 1941, le Service T.R. n’avait aucun motif de redouter le chômage : il faisait arrêter par la D.S.T. 10 à 12 espions allemands ou italiens par semaine et suivait pas à pas les activités des Services Spéciaux de l’Axe, notamment dans leur effort pour s’implanter en A.F.N.

 

Le deuxième paragraphe appelle une remarque importante : Parmi les « organisations clandestines de l’Armée », nous voyons apparaître un certain C.D.M. Il paraît impossible de comprendre certains aspects de la Résistance sans connaître, au moins dans ses grandes lignes, l’histoire du C.D.M.

Le sigle C.D.M. signifie:

— pour les non initiés « Conservation des matériels »;

— pour les initiés « Camouflage des matériels » il s’agit des armes, munitions et matériels de toutes natures nécessaires à une armée en campagne. Leur camouflage a pour but de tromper les Commissions allemandes et italiennes de Contrôle sur les ressources réelles dont dispose notre petite Armée de l’Armistice.

Ce Service a été créé très peu de temps après l’Armistice. Il était dirigé par le Commandant Emile Mollard, devenu après la guerre le Général Mollard et décédé en octobre 1991. Arrêté le 7 septembre 1943 par la Gestapo de Marseille, il avait été déporté au printemps 1944 et délivré en 1945. Le Général Mollard a exposé, à plusieurs reprises, l’historique de son Service. Son témoignage donne un tableau exact du réflexe d’un certain nombre de militaires devant les exigences de la Convention d’Armistice:

" Cela fut instinctif. Je n’ai pas échappé à ce réflexe : dans les Etats-majors « on mettait de côté » » des armes de poing, dans les Corps de Troupe, le choix des « collectionneurs » se portait naturellement sur des armes à plus haut rendement : F.M., mitrailleuses, canons anti-char de 25 et de 47. Pour les armes anti-char, l’engouement était bien naturel chez des gens qui venaient de souffrir énormément de la pénurie de telles armes...". 

Tout cela ne pouvait pas mener à grand-chose tant que le Commandement ne coordonnerait pas les louables (mais désordonnées) initiatives individuelles. Les premières directives (secrètes) pour la collecte et le camouflage des armes parvinrent aux Corps de Troupe très peu de temps après l’Armistice. Personne ne savait d’ailleurs à quoi pourrait servir l’armement ainsi camouflé.

En cours de retraite, divers projets avaient été avancés pour éviter l’Armistice:

— Poursuite du combat en A.F.N. (Solution proposée par le Général Noguès et divers parlementaires);

— le « Réduit Breton » préconisé par Paul Reynaud et le Général de Gaulle;

— la fusion « France-Royaume Uni » offerte par Churchill.

Tous ces projets avaient été abandonnés, après étude, comme dangereux pour la Souveraineté française (3° projet) ou comme utopiques (les autres). Dans l’optique de l’époque (la bataille d’Angleterre fait rage et son issue est très incertaine), il semblait bien douteux que l’armement camouflé par le C.D.M. puisse être, un jour, victorieusement utilisé par une Armée d’Armistice miraculeusement renforcée par un apport massif de Réservistes et de Résistants. 

Le C.D.M. entreprit donc une opération de camouflage sans pour autant être fixé sur la finalité de l’entreprise:

a) en créant le C.D.M., notre Commandement suivait-il les phantasmes d’un rêve sans consistance, ou avait-il une raison sérieuse d’espérer, à court ou moyen terme, pouvoir utiliser avec succès l’armement camouflé et comment ?

b) quelles furent, exactement, les missions reçues par le C.D.M. et l’étendue de ses prérogatives?

c) à qui les armes camouflées étaient-elles destinées?

d) pourquoi les armes camouflées, après avoir échappé pour la plupart aux investigations allemandes de juin 1940 à novembre 1942, ont-elles été, en grande partie, détruites ou saisies par l’ennemi sans avoir servi à la Libération du Pays ?

Toutes ces questions mériteront des réponses que nous nous efforcerons de dégager dans une étude ultérieure et spécifique.

 

LA VIE A CAMBRONNE

En mai 1942, je fus à ma grande joie, muté de la Direction des B.M.A. à Royat, à la Direction T.R. à Marseille. Je cessais d’être un apprenti et mes chefs me jugeaient digne d’entrer dans l’équipe de pointe des Services Spéciaux. Je n’en fus pas médiocrement fier.

Le Colonel Paillole résume cette période de la façon suivante (5),

- …« J’ai passé à partir de mai 1942 mes consignes à Verneuil... »

- « Nous quittons la Promenade de la Plage (Villa Eole) pour installer « Cambronne (6) » dans une immense et discrète Maison de la banlieue Ouest de Marseille. »..

- « J’ai renforcé le personnel du Service Central de T.R. par quelques officiers : Bernard, un Saint-cyrien froid et réservé, Morange, un polytechnicien plein de flamme... »

 

Nota: Le Colonel Paillole ignore en 1942 que, par un hasard curieux les deux nouveaux officiers T.R. sont parents : Roger Morange, capitaine d’Artillerie est un cousin de ma femme. Il est exact que nos caractères sont aux antipodes l’un de l’autre, mais nous sommes entièrement d’accord en tout ce qui concerne le Service et notre amitié ne sera jamais troublée par le moindre nuage.

En 1941, j’avais effectué un stage à la villa Eole. Je retrouve au nouveau P.C. Cambronne le personnel dont j’avais fait connaissance lors de mon stage. Le tonus de tout l’effectif est toujours aussi élevé en dépit des menaces de plus en plus nettes qui pèsent sur l’existence même du Service, menaces qui nous touchent d’ailleurs peu, puisque nous savons que, de toute façon, nous continuerons. 

Il faut dire que nos chefs s’attachent à « encaisser » seuls les bourrasques dues à la dérive de plus en plus nette du Gouvernement vers une politique de moins en moins résistante et vers une « collaboration » qui étouffe hypocritement toute contre-offensive aux empiétements (de plus en plus fréquents) des Allemands sur notre « souveraineté » en zone sud. 

Le personnel de « Cambronne » ne reçoit finalement que des échos assourdis des luttes au couteau que se livrent les clans politiques pour la conquête du rang de « dauphin du Maréchal ». Nous suivons assez mal la lente évolution qui éloigne de nous certains grands chefs de l’Armée. Paradoxalement plus la Wehrmacht s’use, plus ils baissent les bras. Certains nous ont aidé en 1941 et nous trouvent maintenant de plus en plus gênants.

Loin de ces remous, nous menons à « Cambronne », une vie qui diffère peu de celle d’un Etat-major. Certes, nous ne connaissons ni repos dominical ni, à plus forte raison de Week-end. Certes, les journées de travail sont longues et il arrive parfois que l’un d’entre nous, pour « boucler » un dossier urgent, reste quinze, dix-huit ou vingt heures à sa table de travail. Nous avons tous connu des « marathons » beaucoup plus longs et plus dangereux. 

Le travail consiste surtout à analyser et exploiter les Renseignements émanant des Postes T.R. et de nos agents : les noms propres cités sont passés au fichier et les archivistes nous apportent les renseignements précédemment recueillis sur les individus déjà connus. Les noms qui apparaissent pour la première fois font l’objet d’une fiche, parfois d’un dossier.

A la lumière des renseignements sortis des Archives, nous en tirons :

a) ce qui peut intéresser nos Patrons;

b) ce qui peut intéresser le Poste T.R. d’où émane le renseignement;

c) ce qui peut intéresser les autres Postes T.R., les B.M.A. éventuellement nos amis résistants, nos Alliés, etc...

Dans ces trois optiques, il s’agit de détecter :

1) si la nouvelle affaire est en liaison ou non avec une, ou des affaires déjà suivie(s);

2) si la nouvelle affaire permet de déboucher

—  soit sur une action répressive,

— soit sur une « intoxication de l’adversaire »,

— soit sur le recrutement de nouveaux agents,

— soit sur l’enrichissement de nos synthèses de l’O.d.B. des Services Spéciaux ennemis que nous tenons à jour.

3) si la nouvelle affaire confirme ou infirme ”ce que nous savons sur les préoccupations de l’ennemi, ses méthodes de travail, ses objectifs à long terme, etc...

Quelques anciens nous guident dans ces travaux qui exigent méthode, précision et surtout une mémoire exceptionnelle:

— Le Lieutenant Challan-Belval (7) qui a été, pendant toute la campagne, Adjoint au Capitaine Paillole et qui remplit maintenant les mêmes fonctions auprès de « Monsieur Verneuil ». Ce titre d’Adjoint au Chef de Service confère à Challan-Belval (alias Charton) le précieux privilège d’avoir des contacts avec le véritable travail de Contre-espionnage offensif. Il assume la liaison avec les services alliés (et, en particulier, avec un poste clandestin de l’Intelligence Service Britannique, camouflé dans la banlieue marseillaise).

— Le Lieutenant-colonel Giboulot, spécialiste des questions juridiques.

— Le Capitaine Garnier, Chef archiviste depuis plus d’une dizaine d’années — sa mémoire est infaillible, et son équipe de sous-officiers, parfaitement compétents, abat un travail considérable.

Je fais la connaissance d’un sympathique et remarquable spécialiste de la radio le Lieutenant Simonin (8). Il travaille d’arrache-pied à doter T.R. d’un équipement valable permettant des liaisons fiables et sûres à l’intérieur de la métropole, avec l’A.F.N. et Londres.

Dans ce domaine la situation est loin d’être satisfaisant. Nous disposons d’opérateurs radio parfaitement qualifiés, mais ce personnel ne dispose que d’un trop petit nombre d’émetteurs-récepteurs fiables dont plus de 50% ont été récupérés sur l’Abwehr entre 1939 et 1942.

Les officiers nouvellement affectés au T.R. s’initiaient ainsi à leur nouveau métier. 

Pour peu glorieuses qu’elles fussent ces fonctions étaient pleines d’enseignements. Elles "gymnastiquaient" remarquablement les mémoires des « nouveaux » qui comme celles des  « anciens » devenaient de véritables fichiers vivants, connaissent sur le bout du doigt les personnels ennemis, l’articulation de l’Abwehr, ses méthodes de travail; la constitution de ses réseaux, ses objectifs, ses ruses... etc...

La lecture assidue des procédures concernant les espions arrêtés (des centaines de procédure) se traduisait par une bonne connaissance du caractère de nos policiers et l’efficacité plus ou moins grande de leurs interrogatoires pour déboucher sur des renseignements exploitables. 

La D.S.T. arrêtait, à l’époque, environ 4 espions de l’Axe par jour (pour atteindre 5 par jour en octobre 1942) — Les aveux des inculpés, joints aux « questionnaires » ennemis fournis par nos « pénétrants » nous permettaient de suivre de près les projets, à plus ou moins longue échéance, du Gouvernement allemand et du Commandement de la Wehrmacht.

Les renseignements ainsi recueillis ne dissimulaient rien de l’insolence croissante de nos vainqueurs provisoires ni de leur volonté affichée d’imposer leur loi à la zone libre malgré leurs pertes, cette volonté s’affirmait dans deux domaines:

A) Les Allemands s’acharnaient à tenter de truffer d’espions la zone libre et surtout l’A.F.N.

B) Affichant au grand jour le peu de cas qu’ils faisaient de la souveraineté théorique de  « l’Etat Français », ils réclamaient de plus en plus âprement la reconnaissance, par le Gouvernement Laval, d’une sorte de « droit de suite » leur permettant de poursuivre en zone libre des opérations policières commencées en zone occupée.

A dire vrai, les activités visées au paragraphe a) ne nous inquiétaient pas autre mesure car, dans la partie de « bras de fer » qui nous opposait aux Services italo-nazis, notre score était éloquent :

 

Périodes

Pertes de T.R.

Pertes ennemies

de l’Armistice à fin 1940
6

6 du S.R. Italien

6 du S.R. Allemand

Année 1941
19

612

( dont 11 mesures D )

Année 1942

a) du 1er janvier au 1er août

b) du 1er août au 08 novembre

c) du 8 nov. Au 31 décembre

 

19

6

3

 

825 environ

400 environ, dont 150 en oct.

0

Total

53 1.849 environ

 

Il en allait tout autrement pour l’affaire du « Droit de Suite » (paragraphe b).

A l’échelon que j’occupais je n’en ai eu qu’une connaissance partielle, suffisante pourtant pour en saisir l’extrême gravité. 

Le Colonel Paillole nous dit qu’ayant protesté avec véhémence contre l’intrusion des Allemands en zone libre, il a eu avec le Général D... (Chef de Cabinet du Général Bridoux, Secrétaire d’Etat à la Guerre) une entrevue orageuse au cours de laquelle D... a cherché à expliquer, autrement que par une trahison pure et simple, l’attitude des Autorités françaises en cette affaire.

Cette « explication » nous apprend:

a) que les Allemands ont posé un véritable « ultimatum ». Vous acceptez le « droit de suite » ou nous envahissons la zone libre.  Cet ultimatum montre parfaitement où en est la  « souveraineté de l’Etat français »;

b) qu’avec une duplicité toute nazie les Allemands ont fardé la vérité. Apparemment, il convenait uniquement d’interrompre le trafic radio de « quelques émetteurs » (sic ) anglais ou gaullistes installés en zone libre et déjà localisés depuis la zone occupée par les services allemands de radiogoniométrie.

La réalité était tout autre.

Il s’agissait en fait de fixer à demeure dans la zone Sud un quadrillage complet de Police allemande motorisée, dotée de moyens perfectionnés de détection. Les Allemands entendaient traquer qui ils voulaient, en tous lieux, avec le concours de policiers français désignés par Bousquet, Secrétaire Général pour la Police de Vichy, sous l’œil impuissant d’un observateur désigné par D..., le Capitaine Des....

Juillet-août 1942, la chasse est grande ouverte. Fini le bon temps pour les opérateurs clandestins de la Z.L. — Un péril de mort les guette. Situation d’autant plus grave qu’une action alliée d’envergure est en préparation sur l’A.F.N. et qu’elle déclenchera l’occupation de la zone Sud par la Wehrmacht avec toutes ses conséquences pour nos Services clandestins.

Pendant tout le séjour de Monsieur Verneuil à « Cambronne » cette menace fut un de ses principaux sujets de préoccupation. Tous les Postes T.R. de zone Sud furent obligés de consacrer une notable partie de leur activité à la surveillance de ces «  Kommandos Mixtes » de la Funksabwehr et de la police française.

Nos Postes eurent, à plusieurs reprises, la chance de pouvoir sauver in extremis plusieurs stations émettrices de nos services (dont celle du S.R. Air à Cusset) ainsi que des opérateurs alliés ou gaullistes.

Mais les habitudes imprudentes se corrigent difficilement. Finalement, les réseaux anti-allemands subirent des pertes douloureuses.

Pour mon compte personnel, je n’eus directement à faire à la Funkabwehr qu’une seule fois et dans les conditions suivantes: 

Le mercredi 4 novembre, « Cambronne » fut averti par T.R. 114 (Lyon) qu’un groupe d’une dizaine d’Allemands du détachement de Funkabwehr de Charbonnières (banlieue de Lyon) prenait le train à destination de Marseille, où il devait parvenir en fin d’après-midi.

Monsieur Verneuil m’envoya à la Gare Saint-Charles repérer ce détachement. Je n’eus aucun mal à identifier mes clients, beaucoup d’entre eux étant assez sommairement déguisés en  « touristes ». On remarquait en particulier de très longs manteaux genre « touloupes » visiblement destinés à affronter les neiges de Poméranie plutôt que le climat provençal. Il y avait aussi quelques chapeaux made in Tyrol d’un vert criard et ornés de « blaireaux » agressifs. Enfin, tout le monde quitte la gare d’un pas ferme et se dirige vers la Canebière par le Boulevard d’Athènes. Trajet ultracourt . A 200 mètres de la gare, sur le trottoir ouest du boulevard, se trouve un bon hôtel confortable et tranquille. Mes « touristes » s’y engouffrent... et je les suis... ce qui est bien naturel puisque j’habite l’Hôtel... Tout comme le ménage Verneuil (cet établissement s’appelait en 1942 « Hôtel de Bordeaux et d’Athènes »). Dans le hall, les voyageurs font cercle autour du chef de détachement qui entame l’appel de ses hommes pour leur attribuer des chambres. Tous sont affublés d’identités françaises. Certains d’entre eux sont encore prisonniers des réflexes inculqués par le « drill ». A l’appel de leur nom français ils claquent les talons et poussent un retentissant « Hier » (Présent).

Une fois les cantonnements distribués, je vais discrètement frapper à la porte de Monsieur Verneuil. Je l’informe de l’omniprésence des Allemands dans les chambres voisines. Il semble apprécier le piquant de la situation et me charge de poursuivre la surveillance de l’équipe nazie.

Jeudi 5 et vendredi 6 novembre les touristes font vraiment du tourisme — Visite de la ville y compris la montée classique à Notre-dame de la Garde.

Le 7 novembre matinée de repos dans les cafés de la Canebière — Je commence à trouver le temps long.

Vers midi, départ à pied pour le Vieux Port (rive sud). Ces Messieurs ont commandé un repas fin dans un bistrot célèbre pour ses fruits de mer et sa bouillabaisse. La Funkabwehr se gorge d’huîtres et de langoustes arrosées d’un vin d’Alsace de fort bon aspect. Ma bourse ne me permet malheureusement pas de m’offrir un menu du même genre. Après le repas, retour à l’hôtel... Un quart d’heure plus tard tout le monde est rassemblé dans le hall, valise à la main. Cette fois c’est le grand départ, toujours à pied, heureusement je suis fantassin (et même chasseur à pied). J’emboîte le pas et me retrouve.., à la Joliette où ces Messieurs s’embarquent pour Alger. Il ne me reste plus qu’à remonter dare-dare à « Cambronne » et à expédier au Colonel Chrétien (T.R. 119) à Alger un message radio lui demandant de prendre à son compte la suite de cette affaire.

Monsieur Verneuil, mis au courant, hoche la tête. En souriant il laisse tomber : « Peu probable que nous les revoyons et rien ne dit que c’est Chrétien qui en héritera ». Je comprendrai le sens de cette réflexion le lendemain : Le bateau utilisé par les Allemands a été arraisonné par la Marine anglaise entre les Baléares et l’Algérie... Il est vrai que c’est le 8 novembre 1942.

 

EVACUATION DE CAMBRONNE

Pendant ces mois au cours desquels il eut son P.C. à « Cambronne », Monsieur Verneuil dut, en permanence, agir sur plusieurs fronts à la fois.

Nous savons quels soucis lui causaient l’hostilité du Gouvernement Laval à l’égard des Services Spéciaux, les dangers que présentait l’intrusion de la Funkabwer en zone libre et l’activité que déployait l’Abwehr pour tenter de s’introduire en A.F.N.

 

Il faut maintenant parler des problèmes sur l’imminence, du débarquement américain en A.F.N.

Nous constatons que notre Chef se déplaçait beaucoup. Nous évoquions assez fréquemment, entre nous, l’heure, certainement proche, de la reprise de la lutte ouverte contre la Wehrmacht; mais le train-train journalier ne subissait pas de modifications sensibles. Les mois d’août et de septembre, de même que la première quinzaine d’octobre furent, pour nous, des mois presque « normaux ». L’atmosphère changea brutalement aux alentours du 15 octobre. 

Au retour d’un des voyages-éclair à Clermont-Ferrand qu’il effectue de plus en plus fréquemment pour rencontrer notre Chef le Commandant Paillole, Verneuil donna l’ordre de procéder immédiatement à l’évacuation des Archives et du fichier. Le Capitaine Garnier et ses archivistes connaissent la manœuvre sur le bout du doigt. En trente-six heures nos 20 tonnes de paperasses se transforment en 500 ou 600 caisses d’une quarantaine de kilos répertoriés, étiquetées et embarquées.

Trois lots sont constitués:

A) Les archives les moins actuelles sont, de beaucoup, les plus volumineuses.

B) Les archives correspondant aux affaires en cours représentent environ une quarantaine de caisses.

C) Les archives les plus sensibles (et, en particulier, les dossiers personnels de nos agents) représentent quelques caisses.

 

Les 3 lots sont dirigés vers trois caches distinctes:

- Le lot A camouflé à Lédenon (Gard) près de Nîmes, dans la propriété de l’un de nos H.C. Fabre de Thierrens, sera détecté et saisi par les Allemands en juin 1945 (9). Transporté en Allemagne il sera scruté par les spécialistes nazis.., qui n’en tireront rien. Récupéré par les Soviétiques en 1945 il sera transporté en U.R.S.S. et sans doute scruté par les spécialistes du K.G.B.... qui n’en tireront rien. Les Russes offrent maintenant de nous le revendre...

- Les lots B et C furent conservés intacts jusqu’à la libération. Le lot C qui aurait pu permettre aux Allemands des coupes sombres dans les rangs de nos agents fut confié au « Père Daniel » (alias Monsieur Devaux). Il fut entreposé un certain temps dans les caves de l’Université de Clermont-Ferrand puis camouflé dans la région de Brioude.

 

Pour nous permettre de continuer le travail courant nous avions mis de côté environ 2.000 fiches et quelques kilos de papiers.

Ce mini fichier et cette mini documentation nous permettaient de guider le travail de nos Postes.

L’aride lecture des Procédures portait ainsi ses fruits. Une simple fiche ou une modeste note de synthèse suffisait à faire surgir de notre mémoire les liens qui unissaient les faits récents aux affaires passées.

J’ignorais encore que, dans quelques semaines, je serai à mon tour sur le terrain. Avec le recul du temps je sais maintenant que si j’ai pu remplir, dans des conditions acceptables mes fonctions de recruteur, d’officier traitant, de Chef de Poste et d’Adjoint au chef de réseau, je le dois à la somme considérable de connaissances techniques enregistrées par moi au cours des longues heures passées à « Cambronne ».

Notre rythme de travail fut brutalement rompu dès le début de novembre 1942.

Monsieur Verneuil averti de l’imminence du débarquement américain donna l’ordre, les 1eret 2 novembre, à tous nos postes de la zone libre de camoufler leurs archives et de se tenir en état de travailler désormais en zone occupée par l’ennemi. En fait lorsque le 4 novembre j’avais pris en charge l’équipe de la Funkabwehr j’étais « en chômage technique » dans l’attente des événements... 

Dans la nuit du 7 au 8 novembre une communication téléphonique du Commandant Paillole nous apprit le débarquement U.S. au Maroc et en Algérie.

Dans la nuit du 10 au 11 novembre la Wehrmacht franchit la ligne de démarcation. Dans la matinée Monsieur Verneuil donna l’ordre d’évacuation totale de Cambronne et de départ par voitures isolées. Point de destination, la gendarmerie de Nîmes où nous devions trouver de nouvelles instructions. Nous croyons comprendre qu’un baroud d’Honneur est prévu et que la direction T.R., Commandant en tête sera dans la région à la disposition du Commandement de la Résistance de l’Armée.

Départ sans histoire. Nous arrivons à Nîmes vers 19 heures. La Gendarmerie n’a reçu aucun ordre nous concernant. Nous dînons rapidement et revenons à la Gendarmerie. Cette fois les ordres sont arrivés. Stupéfaits et consternés, nous apprenons qu’aucune résistance ne sera opposée à l’invasion de la zone libre.

Nous devons gagner Royat (Hôtel Saint-Mart) où nous retrouverons Verneuil dans la journée du 12 novembre. Nous devons éviter les routes nationales. Les Fritzs ne peuvent pas être partout.

Le programme se déroule sans accroc jusqu’à Sainte-Enisie où nous arrivons vers 22 h 30. La route que nous voulions emprunter jusqu’à Chanac est hors service. Après quelques tâtonnements nous décidons de passer par la Canourgue et Chirac ce qui va nous obliger à emprunter, pendant une vingtaine de kilomètres de la R.N. 9, un de ces itinéraires que nous devions à tout prix éviter.

Nous abordons la zone dangereuse vers 23 h 30..., et dix minutes plus tard nous nous trouvons nez à nez avec une colonne allemande.

Les motards qui ouvrent la marche nous font signe de serrer à droite mais ne nous arrêtent pas. Je ne suis pas fier de moi. J’ai la main sur la goupille d’une grenade incendiaire et attends avec inquiétude le « Halt » qui va m’obliger à passer à l’action. Mais tout se passe bien, nous croisons sans incident une vingtaine de camions qui roulent à vitesse réduite, en black-out. Les troupiers qu’ils transportent dorment. Il est vrai qu’ils doivent rouler depuis 24 heures. 

Après cette alerte nous trouvons plus sage de ne pas tenter une nouvelle fois le destin. Marvejols n’est plus qu’à quelques kilomètres. Nous allons y passer la nuit. Le jour levé, nous repartons et arrivons, en fin de matinée à Royat. L’équipe de « Cambronne » n’a subi aucune perte en route, mais l’ambiance est catastrophique.

Nous constatons que notre Armée se montrait incapable du plus petit baroud d’Honneur. 

Nous étions accablés de honte.

Plus que jamais décidés à poursuivre notre lutte. Nous sommes en Auvergne.

Verneuil est désormais chez lui.

Il n’a plus que quelques kilomètres à faire pour rejoindre ce P.C. clandestin d’où il va commander fermement le Réseau T.R. jusqu’au combat libérateur.

 

(1) Frère et Verneau mourront en déportation.

(2) Notamment dans la manipulation des agents de pénétration.

(3) Lulle-Dejardin et Delmas furent arrêtés et déportés en 1943 — Delmas mourut en déportation

(4) Chef d’E.M. du Commandant en Chef qu’était l’Amiral Darlan.

(5) « Services Spéciaux 1935-1945 », Ed. Robert Lafont (p. 359).

(6) « Cambronne , nom du P.C. de la Direction des Travaux Ruraux.

(7) Réclamé fin 1943 à Alger, Challan-Belval tombera entre les mains de la Gestapo et sera déporté à la suite de l’échec de la tentative d’évasion par mer organisée en février 1944 depuis Benodet par le Lieutenant de Vaisseau Yves Le Henaff; (voir « Services Spéciaux » p 454 et 455.)

(8) Mort en déportation.

(9) C’est ce lot dont les Russes viennent de révéler l’existence dans leurs archives moscovites.

 

 

 

 
Suite / Haut de page
 

 

Article paru dans le Bulletin N° 155

Dépot légal - Copyright

Enregistrer pour lecture hors connexion.

Toute exploitation, de toute nature, sans accords préalables, pourra faire l'objet de poursuites.

Lire l'Article L. 122-4 du Code de la propriété intellectuelle. - Code non exclusif des autres Droits et dispositions légales....