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Anciens des Services Spéciaux de la Défense Nationale ( France ) - www.aassdn.org -  
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PAGES D'HISTOIRE & " Sacrée vérité " - (sommaire)
ÉTIONS-NOUS RENSEIGNES EN MAI 1940 ?
 

Dans nos 3 derniers BULLETINS, nous avons publié sur les SERVICES SPÉCIAUX une étude historique dont nos lecteurs ont, sans peine, identifié l'auteur : le plus qualifié en cette délicate matière - nous devrions même écrire le seul -, le Général RIVET.

Notre Président d'Honneur a fait apparaître notamment dans notre n° 19 que l'action des SERVICES SPECIAUX (SR. et C.E.) s’était révélée décisive a la veille de la 2ème guerre mondiale.

Nous croyons indispensable, aujourd'hui, de démontrer l'oeuvre de Renseignement accomplie magistralement par nos Services jusqu’en 1940.

Nous avons donc demandé, une fois de plus, au Général RIVET, de nous autoriser à publier l’étude qu'il a rédigée sur ce sujet.
Nous le remercions de nous permettre ainsi de répondre enfin à la question que tant de Français se sont posés depuis 1940.



I. CE QUI SE PASSAIT DANS LE CAMP ALLEMAND

La "Revue de Défense Nationale" de Juillet, Août 1949, a publié, sous le titre "Le camp allemand dans la fièvre des alertes", une étude mettant en relief les divergences qui ont exposé le Haut Commandement à Hitler dans le projet d'attaque du front occidental, ainsi que les gouvernements successifs qui ont marqué la période d'alerte de septembre 1939 à mai 1940.

Cette étude, appuyée sur des documents officiels allemands, expose sommairement ce qu'était à ce moment l'instrument militaire hitlérien. Elle fait entendre que l'État-major français n'ignorait rien de cette force, et que les desseins de son chef se lisaient dans le Renseignement.

Il est temps aujourd'hui de revenir sur cette question d'autant plus que deux articles, parus depuis dans la "Revue historique de l'Armée" (1) établissent que les organes de renseignement de notre Commandement (2ème bureau et S.R.) avaient correctement suivi le développement du réarmement allemand, et qu'à la veille de l'offensive de mai 1940, ils pouvaient définir avec exactitude et précision la composition de l'armée hitlérienne, son armement, sa doctrine. Ces articles robustes et documentés sont de nature à clore la discussion.

Mais à côté de la préparation militaire proprement dite de l'Allemagne, il y eut les Intentions de Hitler.
Les avons-nous connues ? Notamment, notre Commandement savait-il quand et où il serait attaqué ?

Si une telle question, sous cette forme, avait été posée au Prince Eugène le soir de sa déconfiture de Denain, il eut sans doute gardé un silence énigmatique. Et ses commentateurs l'eussent compris : le maréchal Villars, on le sut, n'avait communiqué ses projets ni à son entourage ni à son Roy.

On pourrait trouver des exemples analogues dans l'histoire des guerres. On conçoit sans peine que Hitler, résolu dès le mois d'Octobre 1939 à attaquer le front franco-britannique, prenant authentiquement onze fois en huit mois la décision de lancer son offensive, n'a pas, la veille du 10 Mai, claironné aux oreilles d'alentour que la 12ème serait suivie d'effet.

Ses procédés, pour aussi peu orthodoxes qu'ils nous soient apparus, n'étaient pas démentiels à ce point. Et pourtant, le Chef Allemand, a moins bien dissimulé sa force et ses intentions que le vieux maréchal de Louis XIV n'a gardé ses secrets.

Afin de mieux faire comprendre ce que le renseignement français (SR et CE) sut découvrir des réalités du camp allemand, nous reviendrons brièvement sur ce que les documents officiels allemands nous les font apparaître et qui se présente sous deux aspects :


1°)- Résolution d'attaque de Hitler et opposition des chefs

2°)- Etat de l'armée et disposition de la troupe

L'intention de Hitler est en germe dès les premiers résultats décisifs obtenus en Pologne (Septembre 1939). Elle est marquée, à l'origine, du souci d'élucider l'attitude britannique, qu'en dépit des déclarations et des actes soulignant la solidarité franco-anglaise, le Führer tient encore pour incertaine. Elle se précise dans la Direction Hitlérienne N° 6, du 9 Octobre, qui prévoit l'invasion de la Belgique et de la Hollande "si la situation politique l'exige". La préoccupation de Hitler de couvrir d'abord la Ruhr en est la note dominante. Dès le 17 Octobre (1) le Führer se rend compte que "les Anglais" ne seront prêts à parler qu'après avoir livré bataille. Dès lors, il prescrit que les préparatifs en vue d'une offensive d'automne soient accélérés de telle manière que l'attaque puisse être lancée entre le 15 et le 20 novembre.

Voilà donc qui est clair : Hitler attaquera le plus tôt possible, sous la réserve sans cesse exprimée de circonstances atmosphériques favorables. Leit-motiv que nous entendrons jusqu'au 10 mai 1940.

La détermination d'attaquer â la première aube propice suppose une armée prête. Les principaux chefs : BRAUCHITCH, HALDER, RUNDSTEDT , MANSTEIN, LIST, pour ne parler que de ceux de l'armée de terre (0.K.H) estiment que l'armée n'est pas prête au sens allemand du mot (schlagfertig).

Au surplus, Rundstedt et Nanstein sont en désaccord de doctrine avec Hitler, en particulier sur la direction de l'effort principal assignée à l'attaque. Brauchitch et Halder inclinent à penser que le front occidental, avec ses prestiges et ses piégés, invite à la négociation plus qu'aux irrémissibles défis. Ils voudraient différer "l'explication".

Ce dissentiment de principe suffirait à rendre oiseux tout autre raisonnement tendant à activer la longue stagnation du front occidental.

Les Chefs, tous d'école classique, jugent qu'avant de courir le risque majeur, il convient de réparer 20 ans d'impuissance politique et de paralysie militaire. Ils savent qu'ils ont en main une armée improvisée, qui ne vaut dans son fini, au début de 1940, ni l'armée de 1914, ni celle de 1870.

La volonté de Hitler s'emploie jusqu'en mai 1940 à faire taire les objections et à mettre un terme aux hésitations. Il n'a pas dépendu de ses subordonnés que l'attaque ait été finalement décidée et entreprise avec une centaine de divisions seulement dont 60 de première valeur. Mais les raisons des généraux n'en ont pas moins joué un rôle important dans les résolutions du Führer.

Avec une rude franchise, Rundstedt les a exprimées toutes dans une lettre du 31 Octobre 1939, adressée au chef de l'O.K.H, avec prière de la faire parvenir au Führer. Elle expose des vues stratégiques d'un haut intérêt, elle livre les raisons de son attitude, celles que le renseignement discerna.

Rundstedt définit tout d'abord le seul but qui, à son avis, mérite d'être recherché : battre la totalité des forces ennemies au nord de la Somme, "Schwerpunkt" au sud, attaque en direction Arras-Boulogne. Puis, passant à l'instrument d'une telle opération, il poursuit : "le rapport numérique des forces ne fournit aucun test pour la bataille de destruction. L'infériorité du nombre peut être corrigée par la haute valeur du Commandement et de la troupe ....., mais, la supériorité des troupes allemandes, certaine contre les Belges et les Hollandais, réside seulement dans les divisions actives en face des Français et des Anglais. Quand ces divisions seront dépensées, nous nous trouverons immédiatement sans réserves instruites, les officiers et les sous-officiers tombés ne pourront être remplacés. L'essor offensif de la troupe sera aussitôt paralysé. "

1°) Résolution d'attaque de Hitler Opposition des Chefs

Et Rundstedt de rappeler que, dès le début de la campagne de Pologne, les officiers de l'active se sont révélés trop peu nombreux (1,300 officiers) avaient été mis hors de combat dans le seul Groupe d'armées sud).

L'Angleterre et la France étant, contre toute attente, entrées en guerre, il ne reste, à mon avis, d'autre choix que de se préparer à une guerre de longue durée. Cela signifie que nous devons opérer de telle sorte que la volonté de guerre du Français, qui n'est sûrement pas très grande, soit mise à une épreuve oui la dépasse.

À mon sentiment, il importe donc en premier lieu de pousser l'adversaire à attaquer. Je tiendrais en conséquence pour fondé de rester, dans la phase initiale, à la frontière belge, avec, prêtes à l'attaque, la totalité des unités motorisées et des autres forces nécessaires dans un premier engagement. De mettre à hauteur, par tous les moyens, les nouvelles formations de notre armée, de produire des munitions en proportion des grandes consommations qu'entraînent des opérations prolongées.

En contrepartie des assurances que nous donnerions au Gouvernement belge, pour garantir sa neutralité aussi longtemps qu'il se montrerait résolu à la défendre dans les deux sens avec toutes ses forces, défenses concrétisées par des préparatifs et une répartition des forces correspondante, nous lui ferions entendre clairement qu'au cas où les forces franco-anglaises entreraient en Belgique sans résistance belge, nous répliquerions, non seulement en envahissant immédiatement ce pays, mais encore en faisant détruire ses villes Par l' aviation. Ainsi placerions-nous l'armée française devant une tâche supérieure à son ordre guerrier.

Je n'ai bas besoin de marquer que l'attente n'est bas une mission souhaitable pour le soldat allemand. Il est bien certain qu'elle ne devrait bas se prolonger indéfiniment, jusqu'a ce que l'Angleterre eut comblé les lacunes de son armée de terre et de son aviation.

Maintenant que l'armée a vaincu la Pologne, c'est à notre aviation et à notre flotte de forcer l'Angleterre à faire le pas qui, tout d'abord la séparera de la France et obligera celle-ci a passer a l'attaque par terre ... Du Point de vue militaire, la guerre contre l'Angleterre ne peut être gagnée que sur mer et dans les airs, mais nous la perdrions avec certitude si nous dépensions notre armée de terre sans obtenir la décision.

En résumé, conclut Rundstedt, ne mettons pas en oeuvre la capacité de notre armée dans des conditions défavorables et pour un résultat qui ne serait fias décisif.

C'est en ce moment le devoir du Commandement suprême de la Wehrmacht. Mais l'officier discipliné qu' est le commandant du Groupe A ne manque pas d'ajouter :"Je rejette avec mépris le soupçon que je serais incapable de braver les plus grands risques et d'assumer n'importe quelle tâche avec la plus grande détermination".

Relevons encore les termes essentiels d'une Instruction qu'il adresse le 11 novembre aux grandes unités :"Ne Pas oublier que, il y a peu d'années encore l'armée comptait 7 divisions, et qu'une rapide reconstruction l'a amenée au niveau actuel. Elle a forcément des lacunes, qui peuvent faire douter de son aptitude à la tâche qu'on lui impose. Mais le temps des réflexions et des discussions est passé.

 Une mission est donnée a l'armée, (1) celle-ci la remplira. ,Vous comblerons les insuffisances, du haut en bas. Nous agirons plus vigoureusement et plus vite que nos adversaires, sans perdre de vue cependant la nécessité d'une marche méthodique. Nous comptons sur la supériorité du soldat allemand.


Les réalités à travers lesquelles s'est cherché le destin allemand méritaient d'être éclairées du haut du palier même de la conduite de la guerre.

Ainsi voyons-nous l'un des généraux les plus représentatifs du Grand État Major allemand, critiquer la conception hitlérienne dont le plan Brauchitch (2) est l'expression imposée. Hitler demeure apparemment inébranlable dans sa ligne. Mais il restera dans son esprit agité des lueurs d'entendement qui ne procéderont pas de sa seule intuition. Il ne pourra ou ne voudra plus les rejeter. Et en définitive, malgré la sourde hostilité des généraux contre Hitler et celle, violemment affirmée, de Hitler contre ses généraux, le désaccord n'apparaîtra bientôt plus que sur la meilleure formule d'une bataille de destruction à l'ouest.

Mais il y a d'autres raisons de la résistance des généraux, celles que nous avons perçues de l'extérieur et mieux connues depuis. Elles portent l'accent de la politique. Le Grand État Major n'a pas pardonné la brutalité des procédés hitlériens à son égard. Des chefs de qualité, comme Halder sont acquis aux projets séditieux visant à l'élimination du Führer (3) , dont la précipitation trépidante à vouloir réaliser l'ordre allemand en Europe leur inspire des craintes angoissées pour le sort de l'Allemagne. Ils condamnent d'instinct un règlement de comptes immédiat à l'ouest qu'ils voient s'engager comme une partie de poker. Et quand ils disent que l'armée n'est pas prête, ils se réfèrent à une mauvaise situation dont les échos leur parviennent nombreux et alarmants.


(1)- Décision de Hitler d'attaquer en Novembre
(2)- Plan de concentration stratégique en date du 29 octobre établi sur l'ordre de Hitler
(3)- Revue de Défense Nationale - juillet août 1948


2°) État de l'armée et dispositions de la troupe

Cette situation et ces dispositions sont connues de nos lecteurs

___________________

- Journal de KALDER

Résumons-les en distinguant deux périodes ; derniers mois de 1939 - printemps 1940.

a)- L'armée allemande d'octobre 1939 est en pleine crise de croissance. "Les contingents qui affluent au front ne sont ni instruits, ni encadrés, ni même armés. Le moral est déficient. Les divisions de forteresse du Westwall se sont étiolés dans une longue inaction. Celles qui viennent de l'Est ignorent les formes du combat contre les armées franco-britanniques" (1). Des rumeurs défaitistes circulent dans la troupe, et le Führer, prévenu, invective contre les geignards et les mous, agite de terribles menaces. Quand, en Novembre, Hitler fait connaître ses premières décisions d'attaque, de sourdes protestations montant des unités du front, de concert avec les objections des chefs qui ont signalé l'insuffisance du matériel, l'inorganisation des unités, l'absence de réserves, l'incapacité de l'armée à tenter une attaque d'envergure. En bref, "attaquer en ce moment", apparaît à la troupe et aux cadres comme un paradoxe, un épouvantail purement oratoire tiré de l'arsenal de la politique,

b)- Ces dispositions ne sont pas de celles que Hitler pouvait longtemps tolérer. Sous sa poigne implacable, résolue à restituer à l'armée ses ancestrales et mâles vertus, un indéniable redressement s'accomplit au cours de l'hiver 1939-1940. Les documents allemands, et Halder et Jodl dans leurs notes, nous montrent l'activité fébrile déployée dans l'industrie de guerre, dans l'organisation et dans l'instruction de l'armée.

Un effort considérable, discipliné, vise à mettre au niveau des meilleures unités les nouvelles formations dont l'instruction est souvent nulle. A réaliser des valeurs comparables entre la Wehrmacht et les unités de S.A, et de S,S, qui forment l'armature du régime. Haletante préparation qui donne la mesure des insuffisances à combler mais qui draine les énergies et entraîne les hésitants. En particulier, la dotation en matériel de toutes sortes, produit d'une industrie qui tend vers les sommets de sa capacité, devient abondante aux approches du printemps et se présente avec une incontestable avance sur celle des pays alliés. Hitler souligne avec force, à maintes reprises, la supériorité allemande dans ce domaine, et le rôle capital qu'elle doit jouer dans la conduite des opérations.

Il demeure, de l'avis des chefs les plus autorisés, qu'en dépit de tels apprêts, l'armée a encore besoin d'importants délais pour parfaire sa mise au point en vue de la redoutable tâche qui l'attend. Mais les armes essentielles de la manoeuvre, qui décidément sera celle préconisée par Rundstedt, sont un atout dont il serait imprudent de différer l'emploi. Hitler le proclame, les chefs le présentent. L'armée, tenue en haleine par d'incessantes alertes, rassurée en avril par le nouvel exploit qui vient d'être réalisé en Norvège, se montrera dans l'ensemble souple et confiante le jour de la grande attaque.

Les préludes de cette attaque ont été précédemment exposés -Notons seulement que c'est, selon Jodl, le 13 février seulement, que l'on entend Hitler marquer une préférence pour l'attaque sur Sedan.

La décision d'entamer l'affaire de Norvège avant le "plan jaune" sera prise le 13 avril, celle d'attaquer à l'ouest entre le 1er et le 7 mai sera arrêtée le 27 avril. Hitler attendra finalement le 5 pour fixer au 8 mai le départ de son offensive. Un ultime débat Keitel-Goering retardera de 24 heures cette attaque, qui sera exécutée en définitive par 10 Panzer Divisionen, 60 divisions d'élite et une cinquantaine de moindre valeur, le tout emmené sur le champ de bataille par une première vague de 6.000 avions.

 

II. CE QUE NOUS SAVIONS

Derrière le mur épais qui séparait les deux armées, l'État-Major français, comme son antagoniste, cherchait à savoir. Besoin antique et permanent, vital.

Ce savoir fait partie d'un domaine plus universel où les hommes d'Etat au pouvoir ont l'obligation d'exercer leur connaissance ; ils doivent être instruits des états de choses dans les pays dont la politique leur inspire des soupçons, ou des craintes pour le bien national qu'ils administrent.

Convenons que les moyens de cette information leur sont dispensés jusqu'à la démesure.

Le nombre et la variété des offices ministériels, publics ou privés qui concourent à les éclairer, constituent un prodigieux arsenal. Leurs possibilités d'information ont considérablement augmenté avec le développement d'une technique moderne qui leur fait toucher du doigt l'évènement au moment même où il se produit, voire dans les préliminaires dont il se revêt.

Tout pays aujourd'hui sait - ou peut savoir - ce que fait l'autre. Il lui suffit d'organiser son information.

Dans ce domaine les chances s'égalisent. Mais l'équilibre se rompt dès qu'on y regarde de plus prés.

 Car les États comme les hommes ont pris depuis longtemps l'habitude de dissimuler. Celle aussi, en sens inverse, de s'informer au delà des chancelleries, au delà des faits apparents. Du royaume le plus primitif au plus puissant des pays évolués, tous prétendent à accéder à l'acte qui se cache.

L'acte qui se cache a presque toujours mauvaise conscience. Les nations les plus pacifiques auront toujours du mal à démontrer qu'il est chez elle pur réflexe de défense. Suivant en cela les plus mal intentionnées, elles se sont dotées d'un organe inavoué, mais décelable, chargé d'explorer les secrets d'autrui.

(1)- Revue de la Défense Nationale - juillet août  1949


Cet organe, ce Service des Renseignements, considéré à l'échelon de l'autorité suprême qui conduira la guerre, acquiert dès lors une extrême importance. A l'échelon du Chef qui conduira les opérations, et qui portera à l'instant décisif le destin du Pays, le produit des recherches du S.R. constitue un appoint capital. D'où cette priorité dans l'emploi du S,R. qui fut chez nous instinctivement concédée au Commandant en Chef, et sans laquelle des responsabilités précises ne sauraient être imposées à ce dernier, ni dans la préparation de l' armée ni dans sa mise en oeuvre.

En temps de paix, voire de paix armée, le renseignement filtre des enceintes ennemies avec une relative complaisance, sous la contrainte toutefois d'une recherche obstinée, Quand les armées sont face à face, frontières fermées et toutes avenues gardées, renseigner devient une redoutable gageure.

La fonction d'un SR bien organisé est de définir l'adversaire dans les préliminaires les plus lointains de la guerre, comme dans la phase des actes hostiles et celle des opérations S'il a su s'implanter de bonne heure chez l'ennemi virtuel, les meilleures chances lui sont promises.

Le SR français avait 70 ans d'existence quand, en pleine forme, il abordait les évènements de 1940.

Parce qu'on a rarement parlé de lui, sinon pour le décrier - ou par inadvertance pour le louer -peut on espérer aujourd'hui remettre en mémoire des avertissements qu'on entendit point quand il était temps encore. Il ne faudrait pas à cet égard nourrir trop d'illusions.

Le SR sait, comme le vieux Moltke, se taire en sept langues. Mais il nous est loisible de dire l'essentiel du renseignement obtenu entre les deux guerres, et qui, à vrai dire, n'était plus, depuis la défaite de 1940, entièrement sous le boisseau. Car l'opinion française, à son cruel réveil brûlant de s'informer, avait interrogé et appris bien des choses.

Elle ne les tenait pas du SR. Le SR fut pourtant sollicité une première fois par la Cour de Riom, vers les années 1941-42, quand, errant, hautain dans ses résolutions et dans sa foi, il hantait les écarts de Clermont et de Vichy où sa survivance inquiétait.

Il fallut bien parler. "On finit par tout savoir", s'exclamait, libéré de ses doutes, le Procureur Général de cet infortuné tribunal (2), "Je viens de dépouiller des monceaux de documents, et j'en arrive à cette conviction absolue que notre 2ème Bureau et notre SR ont fait savoir avant la guerre, à notre Commandement et à notre Gouvernement, tout ce qu'ils devaient savoir de l' Allemagne, de sa force et des projets de son Führer.

Dès l'ouverture du procès, je demanderai le huis clos pour le proclamer",


Il n'y eut pas de huis clos et le procès tourna court.

Nous résumerons ce que le scrupuleux magistrat voulait dire. non sans avoir Sommairement défini, Pour le profane, l'arme de nos recherches que tant d'honneur et de lumière menacent de desservir.


I.- le SR français (3) est né dans le climat moral de 1871, d'un réflexe national et anti-germanique. Il est d'inspiration défensive.
Sa mission :

1°) connaître les secrets de l'ennemi, éventuel ou déclaré,
2°) déceler les agissements de cet ennemi contre notre Défense Nationale.


II.- Cette mission est exécutée par un personnel de qualité, criblé et spécialisé, qui a donné à toutes les époques de l'histoire de ce service, des preuves péremptoires de sa science professionnelle, de sa probité, de son abnégation. Son honneur est sans tache. Mais ses morts anonymes sont nombreux, comme ses succès.


III.- Sa doctrine est française. Elle procède de qualités intellectuelles qui sont l'apanage de notre race, et qui ont suppléé souvent au manque de moyens et d'appuis résolus. Sa conception et son emploi correspondant au génie, aux besoins, et aux possibilités de notre Pays.


IV.- Comme ceux de tous pays, notre SR opère la recherche par ses agents, fixés ou lancés en pays ennemi. Secret de polichinelle. Le difficile est d'en trouver de bons, placés aux points essentiels, de les garder et d'en faire bon emploi.

V.- L'organisation du SR, son articulation, sa technique, ses visages, qu'importe au lecteur de les connaître. il ne s'agit point de cela, mais de savoir seulement si le SR a fait son métier.


Il n'est point sûr que tous les Français aient fait le leur comme il s'est acquitté du sien. Depuis longtemps le SR renseignait. Il ne faisait que cela, mais le faisait bien.

La guerre victorieuse de 1914-18 lui avait donné son plein épanouissement et son lustre.

Au cours de cette longue veillée des armes qui a rempli l'intervalle de 1919 à 1940, il fut à l'échauguette sans repos ni trêve, les yeux et les sens âprement rivés aux actes de l'ennemi : pendant 70 ans il a regardé l'Allemagne. Il se serait à jamais couvert d'opprobre s'il n'avait découvert, défini et signalé le danger qui rapidement montait à l'Est et menaçait à nouveau nos foyers, Mission sacrée qui gardait ses hommes contre toute défaillance, contre la distraction. Serment fait à la France qui entraînait les âmes.


0onc, l'exténuante et magnifique tâche s'accomplissait quand la "volonté de puissance" du führer ressuscitait l'Allemagne, en même temps que l'oeuvre de mort que cette volonté impliquait pour la France Avec bonheur toujours ? Certes non, hélas : Avec une vue exacte, automatique, de l'acte qui se déroule chez l'autre ? Non encore.

(2)- Procureur Général CASSAGNEAU
(3)- Organe de recherche à ne Pas confondre avec le 2ème Bureau, organe d'exploitation. Nous Parlons ici, cela va sans dire, du SR français de 1940

S'il en était ainsi, l'homme depuis longtemps eût détrôné ses dieux et déposé son heaume. L'homme en face de l'homme n'eut toujours qu'un horizon incertain, coupé de lueurs fugitives.


Ainsi cet appareil humain qui s'appelle le SR excèderait-il ses droits à la connaissance, s'il prétendait tout savoir, Monluc, il y a fort longtemps, nous l'a dit malicieusement en l'une de ces formules curieuses dont il usait volontiers ."Si l'Ost savait ce que fait l'Ost, l'Ost battrait toujours l'Ost". Sans doute exagérait-il sciemment, car il est arrivé, avant et après lui, que l'Ost savait ce que faisait l`Ost, et pourtant l'Ost fut battu. Et jamais peut-être ce désaccord entre les prémisses et les conclusions n'a été aussi flagrant qu'à l'instant de notre épreuve de 1940.


De 1918 à 1940 (et au delà) malgré des frontières qui se hérissaient d'obstacles, malgré des polices implacables qui décimaient nos gens, la recherche française n'a pas été aveuglée ; la force allemande a été observée et recensée. Par notre 2ème Bureau et notre SR, nous avons su comment et avec quoi elle se construisait et où elle voulait en venir : nous nous sommes acheminés vers l'ultime bataille de l' ouest sur une route jalonnée par le renseignement préalable. Les cris du guet sont encore perceptibles, il faut les rappeler en bref.


PRELUDES AUX AGRESSIONS


De 1919 à 1933, c'est l'Allemagne du Grand État-Major, des associations paramilitaires et des partis nationalistes impénitents, qui absorbe l'attention du SR. Tâche facile ; l'Allemagne, occupée jusqu' en 1930, est une place livrée à toutes les investigations, 2ème Bureau et SR prennent sans peine le pouls de "l'Allemagne du refus" et avertissent le Commandement français de la reconstruction progressive de sa puissance militaire.

Ils en donnent le canevas. Certains bulletins du 2ème Bureau de cette époque sont terriblement prophétiques, ils font reparaître la guerre à nos portes quand les dernières illusions du contrôle s'envolent. Nous savons que l'État-Major allemand médite de poser, force en main, la question des frontières quand, en 1933, Hitler prend le pouvoir. Le führer, annonce le 2ème Bureau, va donner à la revendication allemande un tour autrement incisif.

Mais, répétons-le, en ce temps-là, les secrets allemands couraient les rues. 1933-1934.- Avec Hitler à la barre commence l'ère des possibilités annoncées par le 2ème Bureau. Les points d'interrogation surgissent, multiples. Notre SR, accroché à ses observatoires en péril, enregistre immédiatement l'intention de guerre qui anime les premiers actes hitlériens.

 Les exercices État-Major (Kriegspiel) des années pré-hitlériennes ont Presque invariablement comporté des thèmes agressifs visant les jeunes États de la périphérie de l'Allemagne
 

Constatant la véritable mobilisation matérielle et morale qui s'étend sur le Reich et s'empare de sa jeunesse, nos organes de recherche glanent dans les laboratoires, les usines, les chantiers et les camps, les preuves d'une entreprise de restauration totale de l'armée dont Hitler se saisit le 4 février 1934. Les chancelleries s'émeuvent, le monde s'inquiète, certes. Le SR fouille la machine de guerre et dénude son détail. Déjà se dégagent de certains renseignements les directions des coups de force à attendre.


1935 - L'Allemagne se verrouille de plus en plus. Ses polices pourchassent violemment nos émissaires. S.R. français et Abwehr joutent avec rudesse, des agents succombent, des officiers sont arrêtés.

Les réactions des services secrets allemands mordent sur les pays neutres.

En France, les entreprises de l'Abwehr sont déjouées, la "5ème colonne" décelée dans ses premiers noyaux, le nettoyage de la maison France vigoureusement conduit (1).


Sévères préliminaires qui préludent aux graves évènements entrevus par le SR et le 2ème Bureau à travers les premiers documents importants saisis en Allemagne (2). Le SR établit par ailleurs que les fabrications de guerre montant anormalement en flèche, débordant largement le cadre des besoins défensifs.


1936 - Dès janvier apparaissent les indices d'une proche réoccupation de la zone rhénane démilitarisée (tractations entre l'intendance et les fournisseurs aux armées, réaménagement hâtif des casernes désaffectées, alerte des municipalités). En février, ce projet se précise à travers maints renseignements qui font dire au 2ème Bureau que l'opération est certaine et imminente. Le coup de force est exécuté le 7 mars.


Le lendemain, le Chef du 2ème Bureau, tirant les conséquences de l'évènement, brosse le tableau de la situation à la lumière de tous les renseignements recueillis :"L'Ère des tensions politiques précédant les mobilisations est close", dit-il, "celle des actions brusquées est commencée. La force allemande, médiocre encore, est en état de mobilisation permanente, apte à de telles actions. D'autres coups de force vont suivre".

 

LES AGRESSIONS


Le 23 juin, un document important recueilli par le SR, définit le processus de la mobilisation des forces du Reich (Wehrmacht) (3);

Il fait sensation à l'E M A. Nos agents observent de près les camps où vient littéralement s'engloutir toute la jeunesse allemande. Le 1er septembre, le SR découvre et signale la collusion des services de recherche allemands et italiens, que laissent supposer des relations d'ordre politique engagées à notre insu.


En décembre, cette collusion est confirmée au cours d'une rencontre du Chef de notre SR, avec le Chef du SR, italien.


1937 - Tout au long de l'année (celle de notre Exposition Universelle) le SR recueille des documents et des renseignements qui conduisent aux pires déductions. Un "Kriegspiel" de l'EM allemand, saisi au cours de l'été et visant la Tchécoslovaquie, fait poindre l'éventualité d'un conflit pour l'année même.

Cependant, des renseignements recueillis à Vienne donnent comme certain un proche "Anschluss", et des documents provenant d'Allemagne révèlent la préparation d'une action dirigée contre l'Autriche.

Dès ce moment, le 2ème Bureau est en mesure d'affirmer que le débile État danubien sera la première proie hitlérienne. Notre attaché militaire à Vienne émet la même certitude.

(1)- de 1933 à 1939, 470 arrestations pour faits d'espionnage seront opérées par les services de surveillance du territoire collaborant avec notre CE. Contrairement aux sottises répandues en 1940 sous l'effet psychologique de la défaite, un climat salubre aurait été créé par le CE sur les arrières de nos armées. Nous ne eûmes pas, avant la retraite, d'émissaires allemands dans le dos.

(2)- Notamment, le "plan de construction" de l'aviation allemande
(3)- Rappelons que le service obligatoire en Allemagne avait été rétabli le 11 mars 1935. L'État-Major français a connu les difficultés qui se sont présentées à l'E.M. allemand dans l'amalgame des éléments (L'origines diverses qui allaient former la Wermacht et que des généraux ont avouées (journal de Halder).

 

 

 

 
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Article paru dans le Bulletin N° 20

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